C’est en Roumanie, à Caransebes, là où il comptait des amis de plus de trente ans, qu’Erik Marchand est décédé jeudi dernier.
En 1985, Dastum produisait le premier disque du groupe Gwerz, et la voix d’Erik dans cet album lançait la déferlante musicale qui a emporté la Bretagne jusqu’en l’an 2000 : voix d’un chanteur né parisien mais qui s’était formé au kan-ha-diskan sur le terrain dès les années 1970, travaillant sur la ferme de Manu Kerjean dont il sera le disciple, puis chantant en fest-noz avec Yann-Fañch Kemener en particulier.
Il n'avait pas pour autant délaissé le pays gallo où il avait des racines familiales à Quelneuc (Morbihan) et dont il a chanté le répertoire avec, pour compères, Gilbert Bourdin et Christian Dautel.
Il ne s'était pas cantonné non plus au chant et avait participé à l’aventure des PDG (Paotred an Dreujenn Gaol) et du Festival international de la clarinette populaire.
Les expériences musicales d’Erik se sont enchaînées et diversifiées à partir du disque An henchou treuz en 1990 : en compagnie du virtuose angevin de l’oud Thierry Robin ou du guitariste alsacien Rodolphe Burger, en passant par les Carpates – à commencer par le taraf de Caransebes dès 1994 – ou la Sardaigne, Erik a exploré et savouré toutes les facettes de la musique traditionnelle d’Europe, celle d’avant Bach pour le paraphraser, plongeant dans cette communauté de vie de musiciens issus du peuple, qui utilisent tous les degrés que l’oreille humaine peut saisir.
Cette carrière foisonnante ne doit pas être comprise comme une dispersion vaine ou – pire – commerciale, mais comme le produit d’une vision large, d’un esprit de synthèse qui entendait clairement les grands points communs entre toutes les cultures traditionnelles et pouvait aussi disséquer les détails qui caractérisent chacune d’elles.
Ce même esprit de synthèse l’a conduit à donner toute sa place à la musique traditionnelle, tant en créant Drom et la Kreiz Breizh Akademi qu’en participant activement aux échanges qui ont abouti au texte de loi de 2016 reconnaissant les pratiques artistiques en amateur : cela peut sembler contre-intuitif de la part d’un artiste professionnel de longue date et dûment syndiqué, mais je peux témoigner personnellement, ayant vécu ces discussions à ses côtés, de même que Charles Quimbert, directeur de Bretagne Culture Diversité de cette époque, de la cohérence de son engagement.
Nous entendons encore, nous entendrons toujours ce timbre parfois qualifié d’intemporel, que les ennuis de santé récents n’avaient pas ou peu altéré.
Ils n’avaient pas davantage eu prise sur la pertinence et la clarté des analyses d’Erik, le plus récent exemple en a été donné par sa brillante intervention à distance lors de la table ronde organisée en septembre dernier pour l’édition du « catalogue Malrieu ». Au demeurant, la place que Patrick Malrieu, co-fondateur et longtemps président de Dastum, avait accordée au parcours d’Erik dans sa thèse en dit long sur l’estime mutuelle qui les unissait.
Collecteur, déposant de la première heure à Dastum, Erik était depuis de longues années un administrateur de notre association dont l’avis était respecté.
Nous avions décidé de lui consacrer le second volume de notre collection « Passeurs », ce qu’il avait apprécié et il avait commencé de travailler à ce projet depuis quelques mois. À nous désormais de le mener à bien.
Un peu tard pour te souhaiter Glück auf, Erik, quoique… tu restes tellement présent !
Ronan Guéblez, président de Dastum
En illustration : Erik Marchand au festival des Vieilles Charrues en juillet 2011 (photo Myriam Jégat).

